Rahul Purini (CEO de Crunchyroll) : "nous conseillons à nos équipes d'écouter les fans"
Rahul Purini, le président de Crunchyroll, est un homme occupé et convoité. Il est celui qui, en seulement quatre ans, a fait passer le nombre d'abonnés de la plateforme de 5 millions à 17 millions. Une croissance bien au-delà des standards de l'industrie. De quoi gagner la confiance des actionnaires qui n'ont pas tardé à le promouvoir de COO à CEO.
C'est quand il devient PDG de Texas Instruments que Rahul Purini comprend que les dessins animés qu'il regardait enfant à la télévision indienne étaient des "anime". Il se met alors à en consommer avec une plus grande régularité, loin de se douter qu'il mettait un premier doigt dans un engrenage qui le mènerait plus tard à occuper le poste de CEO du leader mondial du streaming d'anime.
C'est la veille de la cérémonie des Crunchyroll Anime Awards 2025, à Tokyo, que Linternaute.com a pu s'entretenir avec Rahul Purini. L'ambiance est festive et le CEO est aussi sagace que jovial. L'occasion parfaite pour sonder le président sur l'avenir à moyen terme de la plateforme.

Linternaute.com : quel est le premier anime qui vous a marqué ?
J'ai regardé des dessins animés en grandissant en Inde, mais je ne les identifiais pas comme des anime à proprement parler. Il s'agissait simplement pour moi de séries d'animation.
Ensuite, j'ai commencé à travailler pour Texas Instruments, ce qui m'a conduit à effectuer de nombreux voyages au Japon. C'est là-bas que j'ai découvert la série qui m'a réellement captivé : Cowboy Bebop. C'est probablement encore aujourd'hui ma série préférée. C'est elle qui m'a fait plonger pleinement dans l'univers de l'anime, de manière consciente.
Alors que nous voyons émerger des productions chinoises, coréennes, vietnamiennes ou encore indiennes, est-ce que votre définition de ce qu'est un "anime" a changé ?
Chez Crunchyroll, nous sommes convaincus que pour qu'un anime soit authentiquement considéré comme tel, il doit être conçu et/ou réalisé au Japon. Les histoires peuvent se dérouler ailleurs et une partie de la production peut être externalisée, mais il est essentiel qu'il y ait ce lien avec le Japon – un créateur japonais, une production japonaise. Cela dit, certains contenus similaires à des anime sont produits dans d'autres pays. Ils figurent sur notre plateforme, et nous les étiquetons clairement pour informer nos utilisateurs. Par exemple, To Be Hero X, une série chinoise diffusée cette saison, est bien identifiée comme une série d'animation chinoise et pas un anime.
Crunchyroll est un acteur majeur du marché, notamment pour les shônen, ces séries destinées aux adolescents et aux jeunes adultes. Prévoyez-vous d'élargir votre offre à un public plus jeune ou plus âgé ?
Nous n'avons pas vocation à proposer des contenus pour adultes comme le hentai ou l'animation érotique. Cela reste un contenu que nous ne souhaitons pas distribuer. Pour l'instant, nous n'envisageons pas non plus de programmation dédiée aux enfants. Nous pensons que le potentiel est encore immense dans notre segment actuel du shônen, c'est pourquoi nous y concentrons tous nos efforts.
Envisagez-vous de vous diversifier au-delà de l'anime japonais, par exemple vers le sentai, le tokusatsu ou des comédies musicales ?
Notre priorité reste l'anime japonais. Nous croyons profondément à la richesse de cette niche. En interne, nous avons une devise : " Nous ne voulons pas être un service pour tout le monde, mais un service ultime pour quelqu'un. " Et ce quelqu'un, c'est le fan d'anime. Notre vocation est d'être LA plateforme de référence pour les fans d'anime shônen.
Un des défis liés à un vaste catalogue est la découvrabilité des contenus. Les grandes séries sont connues, mais comment recommandez-vous les autres ? Est-ce une curation humaine ? Utilisez-vous l'IA ?
Aujourd'hui, c'est un système hybride. Nous avons une équipe de curateurs humains répartis dans le monde, car les goûts et les contextes culturels varient selon les régions. En complément, nous utilisons la technologie, notamment le machine learning, pour personnaliser les recommandations. Nous commençons également à expérimenter l'intelligence artificielle dans la recherche, la découverte et la personnalisation.
Certains producteurs souhaitent aujourd'hui diffuser leur contenu sur plusieurs plateformes, abandonnant l'exclusivité. Quel impact cela a-t-il sur Crunchyroll ?
L'anime connaît un essor mondial, et davantage de plateformes veulent en proposer. Nous nous en réjouissons. Pour nous, l'exposition aux anime est bénéfique, cela va forcément engendrer de nouveaux fans. Ces spectateurs néophytes vont s'attaquer au genre anime, ils voudront approfondir leur expérience.
Nous avons la plus grande bibliothèque au monde – 25 000 heures, 50 000 épisodes. Nous pensons qu'un fan engagé envers l'animation se tournera naturellement vers Crunchyroll. C'est pourquoi nous continuons à privilégier certaines exclusivités, car cela nous permet de mieux accompagner le développement d'un titre, de construire une communauté autour, et de susciter l'intérêt pour une licence.

Quels sont les critères essentiels pour l'acquisition de droits d'une licence au sein de Crunchyroll ?
Que ce soit pour une problématique d'acquisition ou de production, la réponse est la même.
Nous commençons toujours par l'histoire : quelle est l'intrigue, quelle est l'origine de l'IP (NDLR : propriété intellectuelle) : manga, roman, jeu vidéo ? Quelle est sa popularité ? Quel est le public visé ? Nous examinons aussi les genres, les thèmes, les créateurs, les producteurs, le studio impliqué et le budget.
Mais surtout, nous conseillons à nos équipes d'écouter les fans et d'analyser les tendances régionales pour orienter leurs choix.
Crunchyroll est une plateforme mondiale. Lorsque vous acquérez des droits, ciblez-vous une diffusion internationale a minima ?
Absolument. Notre préférence est d'acquérir les droits pour le plus grand nombre de territoires possible – nous sommes présents dans plus de 200 pays, à l'exception du Japon, de la Chine, de la Russie et de quelques autres pays. Bien sûr, cela dépend aussi de ce que nos partenaires sont prêts à licencier en termes de territoires.
Il y a certains shows qui semblent vraiment plus pertinents pour le public d'Amérique latine, ou pour nos fans en Inde. Dans ces cas particuliers, nous commençons par un licensing ciblé sur ce territoire. Mais dans la grande majorité des cas, nous misons sur un licensing global.
Certaines régions ont des sensibilités culturelles spécifiques. Avec Demon Slayer, par exemple, on a observé des retouches de vêtements lors de sa diffusion en Chine et en Indonésie. Comment gérez-vous cela, notamment avec le fan service parfois présent dans les anime ?
Chaque pays a ses propres normes de classification. Nous avons une équipe dédiée aux standards qui s'assure du respect des réglementations locales.
Ce que nous ne faisons pas, c'est censurer nous-mêmes le contenu. Ce sont les créateurs qui décident. Nous avons trop de respect envers les créateurs pour censurer leur contenu. Il peut arriver que certaines régions appliquent des restrictions et que les créateurs décident d'ajuster leur contenu en fonction des pays cibles.
En revanche, nous informons nos utilisateurs grâce à un système de classification très précis : 18+, 16+, etc jusqu'à tout public, en fonction du pays. Et nous y ajoutons aussi des labels pour être sûrs que la qualification du contenu soit la plus transparente possible.
Vous avez déclaré qu'être fan d'anime était presque un style de vie. Crunchyroll s'est lancé comme agent de gestion de droits pour développer le merchandising, notamment avec Demon Slayer. Est-ce un segment important de vos revenus ?
Tout à fait, les fans veulent vivre leur passion. Être fan d'anime est aujourd'hui un lifestyle. L'expérience ne s'arrête pas à regarder l'anime. Les fans veulent lire le manga, jouer à des jeux vidéo, acheter des produits dérivés – vêtements ou figurines –, écouter les musiques de l'anime. Le streaming d'anime est le cœur de notre société, mais nous souhaitons accompagner les fans dans l'ensemble de leurs fandoms.
Nous avons lancé des boutiques en ligne aux États-Unis, en Europe, en Australie. Nous avons aussi lancé Game Vault, notre plateforme de jeux gratuits. Et nous venons d'annoncer Crunchyroll Manga, un service de lecture numérique qui débutera aux États-Unis avant de s'étendre à d'autres territoires. Tous ces points font partie intégrante de l'offre de Crunchyroll.

Nous sommes à une époque de maturité pour l'animation japonaise, tant au Japon qu'ailleurs. À l'instar d'Hollywood, les reboots et remakes se multiplient. Est-ce quelque chose que vous envisagez pour des licences classiques ?
Oui. De nombreux fans actuels n'ont pas connu les classiques. Nous utilisons nos outils de recommandation pour les leur faire découvrir, mais nous discutons aussi avec nos partenaires au Japon de potentielles suites ou reboots. Black Butler, par exemple, a fait son retour, et a été très bien accueilli.
Si vous aviez les sept boules de cristal de Dragon Ball et pouviez exaucer un vœu pour obtenir les droits ou relancer un anime, lequel choisiriez-vous ?
C'est une question fascinante. Il y a tant de classiques extraordinaires. Personnellement, j'aimerais voir un excellent anime de science-fiction spatiale revenir à l'écran. Ce genre me passionne.
Est-ce un clin d'œil à Robotech ou Macross, dont vous semblez être proche ?
Pas d'annonce pour le moment, mais nous espérons pouvoir partager quelque chose très bientôt.